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  Pack . Le canapé avec l'ours de Francesco Binfaré se réchauffe au coin du feu dans le salon Casa Italia à Pyeongchang 2018.

mars 2022

ART
Words
Laura Arrighi

Sport, art et décoration se mêlent ò l’Histoire et aux valeurs

Beatrice Bertini et Claudia Pignatale inaugurent une nouvelle ère d’espaces de réception avec Casa Italia.

Nous sommes en août 2016, à l’époque des Jeux olympiques de Rio de Janeiro. L’équipe nationale olympique italienne se féminise fortement : sur 314 athlètes, 144 sont des femmes. À la fin de l’événement, le décompte des médailles italiennes totalise 8 médailles d’or, 12 d’argent et 8 de bronze. Au-delà du résultat sportif, c’est une « médaille d’or de la beauté » exceptionnelle qui a attiré l’attention de la presse, des professionnels et du public. Elle a été remportée par Casa Italia, mise en place par le CONI (Comité olympique national italien) en vue d’accueillir les athlètes italiens. L’équipe était hébergée au Costa Brava Clube, un bâtiment de style brutaliste conçu dans les années 1960 par l’architecte Ricardo Menescal. La propriété se dresse sur un rocher relié à la côte par un pont en béton. 

C’était la première fois qu’un système vertueux de valeurs liées au Made in Italy était impliqué pour mettre en avant et encourager l’équipe olympique. Diego Nepi Molineris, responsable marketing du CONI et responsable de Casa Italia, a confié dans une interview : « Je ne peux que m’attarder sur notre projet, dont je suis fier. Je crois qu’il pourrait marquer le début d’une nouvelle ère dans le domaine des maisons d’hôtes. Le Costa Brava Clube est devenu un endroit où se retrouvent non seulement les visiteurs, notamment les nombreux italiens installés au Brésil, mais également et avant tout les plus grandes marques italiennes. Au-delà du sport, Casa Italia représente une véritable marque, une image de l’Italie et du Made in Italy ». La première édition de Casa Italia (puis les suivantes), ainsi que de nombreux autres événements liés au sport ont été organisés par des femmes : Beatrice Bertini et Benedetta Acciari, pour le concept et le projet d’art, et Claudia Pignatale, pour la conception intérieure. Beatrice Bertini a travaillé pour la GNAM de Rome, le Palais des Papesses de Sienne et l’Académie des Beaux-Arts de Rome. Elle dirige aujourd’hui, de concert avec Benedetta Acciari, la société Ex Elettrofonica, qui a marqué un changement du concept architectural de l’espace d’exposition, devenant un lieu d’interaction entre les arts visuels et l’architecture. L’architecte Claudia Pignatale a fondé la galerie Secondome, qui réunit des éditions limitées, des productions sur mesure et des pièces de collection. Après Rio, Edra a accompagné Casa Italia dans le monde entier, contribuant à incarner le savoir-faire italien sous toutes ses formes, qu’il s’agisse d’art, de design ou d’innovation. Le magazine Edra a rencontré Beatrice et Claudia pour évoquer leur expérience dans le monde du sport.

Quelle a été votre approche de ce monde ?

Beatrice Bertini : J’ai rencontré Diego Nepi pour la première fois à l’occasion des Internationaux de Tennis d’Italie et cette rencontre a été marquée par la franchise. Avant le début de notre collaboration, le CONI avait pressenti que l’art pouvait être un élément intéressant pour conférer de l’importance et du prestige aux salons Corporate Hospitality, ces salons qui accueillent les entreprises et leurs clients désireux d’assister à des événements sportifs. Dans les premiers projets, il y avait des tableaux accrochés aux murs. Lorsqu’on a demandé mon avis en tant qu’historienne d’art, je n’ai pas manifesté beaucoup d’enthousiasme. L’art constitue un véritable langage qui doit être exprimé, il ne constitue pas une forme de mobilier. On aurait dit qu’ils avaient accroché les tableaux en guise de décoration et de couleur. Nous regardions de jeunes gens vigoureux jouer, mais, dans les pièces qu’ils m’avaient montrées, je ne retrouvais pas cette énergie. Après cette conversation, je me suis vue confier l’organisation de l’événement suivant.

Claudia Pignatale : Beatrice a offert une bouffée d’air frais au monde du tennis. Quand elle m’a demandé de collaborer avec elle, j’étais ravie. J’ai commencé avec les Internationaux d’Italie de 2015 et cette expérience a fait mûrir une relation de dialogue et de projets qui nous a unies et a donné naissance à Casa Italia.

Le thème de l’hospitalité a beaucoup évolué ces dernières années. Quelle est votre approche du rôle de l’art et de la conception d’intérieur ?

Beatrice Bertini : Le travail majeur que j’ai essayé de faire a été de transmettre la manière selon laquelle cette nouvelle façon de percevoir l’hospitalité, concernant l’inclusion d’œuvres d’art et d’objets, est liée précisément à la nouvelle énergie que le sport transmet. À travers ces espaces, nous devons parler de l’Italie comme d’un pays vivant et productif. Mes premiers projets concernaient les Internationaux d’Italie de 2013 et de 2014. Deux éditions difficiles, car je sentais qu'il manquait une personne pour enrichir les œuvres par un aménagement intérieur. Quand, en 2015, j’ai rencontré Claudia, j’ai compris qu'elle pouvait être cette personne. Depuis lors, nous avons commencé à voir les salons comme de véritables projets de réception à 360 degrés.

Claudia Pignatale : Ce fut un grand défi pour nous. Surtout au début : notre objectif était de faire comprendre aux gens le rôle primordial de l’art et du design, et pas seulement sous l’angle de la fonction. À Rio, par exemple, nous avons aussi impliqué les Chefs, certains ayant des réserves sur le projet que nous portions. Nous leur avons expliqué que la nourriture devait également faire partie de l’histoire que nous voulions raconter. C’était un pari, mais une fois qu’ils ont compris le concept, tous ont participé avec enthousiasme.

Comment se passe la collaboration avec le CONI, en tant que femmes, pour le projet Casa Italia ?

Beatrice Bertini : Le CONI est un univers masculin, avec toutes les nuances que cela comporte. Il s’agit d’un environnement très « musclé » et il faut s’habituer à une certaine mode de fonctionnement dans les relations. C’en est très stimulant.

Claudia Pignatale : Nous sommes les seules femmes à travailler sur le projet Casa Italia, mais nous portons une histoire collective. Nous avons souhaité souligner que cette histoire est le fruit de rencontres et de relations entre des personnes. Il n’y a pas de question de genre. Ce type d’approche a fonctionné et nous avons créé une belle équipe.

Quelles ont été et quelles seront les étapes de la Casa Italia aux Jeux olympiques ?

Claudia Pignatale : Le premier projet était la Casa Italia à Rio en 2016 : il reposait sur le concept horizontal. Il s’agissait de raconter l’histoire du lien très fort qui unit l’Italie et le Brésil depuis la nuit des temps, depuis l’arrivée des Italiens en Amérique avec leurs valises en carton. Lorsque nous avons vu notre maison, le Costa Brava Clube, ce concept est devenu très clair. Le bâtiment en lui-même exprimait un récit fantastique, rappelant notre célèbre Villa Malaparte, en dix fois plus grand, perchée sur une petite île reliée au continent par une passerelle piétonne de 90 mètres et avec vue sur la favela de Rocinha, qui s’apparente à une crèche depuis le Costa Brava Clube. De grandes personnalités issues de mondes différents, des artistes et des partenaires représentant pleinement l’excellence des deux pays ont été impliqués, répondant ainsi aux attentes d’une saine contagion entre les cultures italienne et brésilienne. Un environnement contemporain, inédit et accueillant en est ressorti. Ensuite, il y a eu les Jeux olympiques d’hiver de Pyeongchang, en 2018, en Corée du Sud. Ce fut un véritable défi, nous avons dû faire face à des températures sibériennes et à l’aménagement d’un country-club de golf non prévu pour un accueil hivernal. Nous avons décidé de transformer le Yong Pyong Golf Club en chalet, en suivant le concept Prospectum. L’objectif était de présenter notre pays à travers une innovation culturelle mondialement connue : la représentation de la perspective, actualisée et modernisée par un langage contemporain. La Casa était plongée dans la neige avec des routes d’accès rappelant des lignes géométriques tracées sur une feuille de papier blanc. Nous avons demandé à exposer des artistes qui ont caractérisé chaque environnement et ils ont parfois même interprété le slogan de l’Équipe italienne, issu de Rio, qui était alors Fuoco sul Ghiaccio (le feu sur la glace). Une grande cheminée au-dessus de laquelle était suspendue une installation lumineuse constituait la pièce maîtresse de Casa Italia.

Les Jeux Olympiques de Tokyo 2020, disputés cependant cette année, est notre dernière étape, reposant sur le concept de Mirabilia, des salles remplies de merveilles chargées d’une histoire importante dans le monde de l’art et de la narration. Nous avons tenté de réunir les cultures italienne et japonaise, en mettant l’accent sur l’artisanat italien et sur l'estime du pays du Soleil-Levant envers notre nation. Nous avons mis en scène le ressenti de l'être humain dans son rapport à la nature, aux éléments et à la magie du quotidien. L'architecture du Manoir de Takanawa, typique des maisons européennes de la fin du 19ème siècle, s'étend sur deux étages : au rez-de-chaussée les Chaises Rose et Getsuen du designer japonais Masanori Umeda accueillaient les invités en célébrant l'art japonais de l'Ikebana, l’art des fleurs et de leurs merveilles. Les roses et les lys de velours rouge sont un hommage au pays du Soleil Levant pour célébrer la délicatesse et le raffinement de la culture japonaise et accueillir les invités dans une magnifique salle emplie de fleurs.

Viennent ensuite les éditions des Internationaux de tennis et l’expérience de Casa Italia Collection — FISI à Cortina en 2021, à l’occasion des Championnats du monde de ski. Nous avons transformé le restaurant 5 Torri en un lieu où le savoir-faire italien est valorisé dans les moindres détails, du design à l’art, en créant le Spazio Amato, inspiré de l’œuvre de Massimo Uberti, qui constitue un élément différent pour chacun d’entre nous, mais qui reste un refuge sûr, un lieu où l’on est accueilli. Le Spazio Amato (littéralement « l’espace aimé ») est en l'occurrence l’Italie elle-même, dans laquelle nous nous retrouvons et où nous venons soutenir nos athlètes.

Beatrice Bertini, c’est vous qui avez proposé ces concepts.  Comment sont-ils apparus ?

Les thèmes liés aux événements de relations publiques découlent de la volonté de rendre hommage, d’une manière ou d’une autre, au pays qui nous accueille. L'idée n'est pas d'introduire l’Italie de manière brutale, mais de tenter de trouver une correspondance entre les pays. Les trois projets de Casa Italia ont ceci en commun : tenter de trouver les points de contact. À Rio, par exemple, nous avons installé I Prismi de Giuseppe Gallo, qui constitue une collection de masques de carnaval en bronze, réels et inventés. De cette manière, nous avons envisagé d’exporter le carnaval italien au Brésil. En revanche, Prospectum en Corée constituait une réflexion théorique sur l’essai La Perspective comme forme symbolique, où Erwin Panofsky montre comment chaque époque culturelle a développé une manière bien à elle de représenter l’espace, pouvant être considéré comme la « forme symbolique » de cette même culture. Ainsi, la perspective n’est qu’un des points de vue possibles dans l’interprétation du monde. Les points de contact entre l’Italie et la Corée n’étant pas nombreux, il s’agissait de proposer un nouveau regard et de promouvoir l’empathie et la capacité de se mettre à la place de l’autre, de regarder les choses d’un point de vue novateur et souvent inconnu, de grandir et de s’enrichir dans la rencontre avec l’autre. Notre ambition est de réaliser un projet collectif qui prend forme, les étapes suivent leur propre logique : Horizontal est une ligne au centre d’une feuille de papier blanc, Perspectum est le début de la construction d’une maison, d’un lieu sûr, Mirabilia est le moment où l’on sort de la maison et où l’on commence à regarder le monde et la nature avec confiance, puisque l’on a un lieu sûr où revenir. Nous construisons une mise en récit. Le projet se poursuivra jusqu’en 2028 à Los Angeles. C’est intéressant. Nous nous efforçons d’être cohérents non seulement avec le projet lui-même, mais aussi avec l’ensemble du projet.


D’où vient la rencontre avec Edra ?

Claudia Pignatale : C’était en 2007, alors que je venais d’ouvrir un concept store de design à Rome, la galerie Secondome, où je sélectionnais des marques qui, pour moi, représentaient la conception de recherche, parmi lesquelles Edra. Lors de la visite de Casa Italia à Rio, tandis que j’observais la favela de Rocinha depuis le Costa Brava Clube, j’ai tout naturellement pensé à Edra : je ne pouvais réaliser le projet qu’avec eux. La fusion entre l’Italie et le Brésil réside dans leur identité. D’une certaine manière, la « favela » est devenue notre pont imaginaire avec l’Italie. Le fauteuil Favela — conçu par les frères brésiliens Campana pour Edra — ainsi que ce qu’il représente, c’est-à-dire un ensemble de valeurs dépassant l’architecture et le design, sont devenus la pièce maîtresse du projet Casa Italia. L’objet emblématique incarnait et exprimait ce lien profond que nous voulions raconter. Les autres objets d’Edra ont ensuite fortement caractérisé les environnements de la maison, mettant en valeur les œuvres et les espaces. Depuis les chaises Gina du restaurant, qui réfléchissaient le soleil de Rio tout en illuminant la pièce, aux canapés On the Rocks, véritables archipels intérieurs sur la petite île du Costa Brava Clube. Chaque élément semblait s’intégrer parfaitement dans l’espace, comme la pièce d’un puzzle, conçue pour être là. Puis, la collaboration s’est renforcée. Pack à Pyeongchang 2018 : le canapé avec l’ours était réchauffé par le feu de la cheminée que nous avions construite spécialement pour l'occasion, une métaphore du feu olympique. Et ainsi de suite pour tous les autres projets. Depuis toujours, les collections d’Edra ont su réagir au récit et aux multiples exigences fonctionnelles et esthétiques de manière exacte et ponctuelle.

"LORS DE LA VISITE DE CASA ITALIA À RIO , TANDIS QUE J'OBSERVAIS LA FAVELA DE ROCINHA DEPUIS LE COSTA BRAVA CLUBE, J'AI TOUT NATURELLEMENT PENSÉ À EDRA: JE NE POUVAIS RÉALISER LE PROJET QU'AVEC EUX. LA FUSION ENTRE L'ITALIE ET LE BRÉSIL RÉSIDE DANS LEUR IDENTITÉ. D'UNE CERTAINE MANIÈRE LA "FAVELA" EST DEVENUE NOTRE PONT IMAGINAIRE AVEC L'ITALIE"

Qu’est-ce qui vous a le plus fascinée dans la fusion entre l’art, le design et le sport ?

Beatrice Bertini : L’art et le sport ont de nombreux points communs, en particulier les valeurs. Le philosophe Hans Georg Gadamer a écrit un essai sur le thème de l’art comme jeu, symbole et célébration. Il disait que ce sont les trois moments fondamentaux dans lesquels l’œuvre d’art se réalise. Jouer, c’est tenter de faire quelque chose sans but, comme le fait l’enfant qui lance des pierres dans la mer par plaisir, sans répondre à un besoin. Le symbole engendre une image intemporelle, durable, précisément parce que, bien que toujours identique, il va changer selon la personnalité, l’humeur, le moment de la vie où le spectateur va le questionner. Enfin, la célébration, moment de l’événement festif où un groupe de personnes attribue une valeur à cette œuvre, qui acquiert alors une valeur artistique. Tout cela est étroitement lié au sport : le plaisir du jeu, la valeur symbolique, par exemple, d’une médaille, l’événement olympique comme moment de célébration. Sur le plan pratique, si l’on y réfléchit : tout correspond à ces valeurs élevées.
Nous n’avons jamais songé à être didactiques et à imaginer des aménagements à caractère sportif. En évoquant la créativité, l’intelligence, le respect de la nature, l’émotion, l’opiniâtreté et la nationalité, nous créons des liens entre le sport, le design et l’art qui se mettent à interagir spontanément. Ce sont des valeurs absolues en lesquelles chacun se retrouve, mais qui doivent rester sans finalité. Voilà pourquoi nous n’avons jamais laissé l'idée de commercialisation intégrer les événements. Il n’est jamais question de vendre des œuvres et des objets, car les valeurs doivent rester élevées. Il y a bien sûr des répercussions économiques, mais cet aspect ne nous intéresse pas.

Claudia Pignatale : L’athlète qui arrive aux Jeux olympiques a tout sacrifié pour décrocher cette place : sacrifice, passion, dévouement. Ce sont des valeurs communes au sport et aux domaines de la créativité. Casa Italia a aussi été pour nous comme un concours : deux ans de conception en vue d’une installation d’une semaine montée en trois jours, qui disparait ensuite.

Quel est votre point de vue sur Edra ?

Beatrice Bertini : Edra est téméraire, et c’est ce qui m’intéresse chez elle. Dans son histoire, on trouve des productions issues d’idées un peu folles, si l’on considère les règles du marché. Dans l’art, nous avons l’habitude de travailler avec des pièces uniques, alors que la production industrielle implique un immense investissement. J’ai une image rêveuse d’Edra parce que je la sens proche de ceux qui, comme nous, poursuivent des recherches sur le contemporain. Elle croit aux personnes créatives et à leur potentiel. Elle peut se laisser séduire par une idée pour la rendre concrète, en ayant une affinité instinctive avec l’auteur. Tout comme nous le faisons avec l’art.

Claudia Pignatale : La fusion entre Secondome et Edra est naturelle, car il existe une philosophie commune sous-jacente sur la nature des espaces et la finalité du design qui les compose. La créativité, la polyvalence, la recherche et l’histoire sous-jacente à chaque création nous ont rapprochés et sont les clés de voûte sur lesquelles repose une collaboration pérenne.


Laura Arrighi

Architecte, docteur en design, rédactrice web et éditrice indépendante. Elle s'occupe principalement de décoration d'intérieur, de design et de mode, avec un intérêt particulier pour les phénomènes d'hybridation des différentes domaines. Elle se consacre à l'écriture, à la recherche, à l'enseignement et à la conception, en collaborant avec des institutions et d'importants cabinets d'architects italiens.


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